Comme un jeu de cartes
Ludovic ferma soigneusement la porte et retourna s’asseoir sur son lit. Ses parents ne rentreraient pas avant une bonne heure, mais il ne tenait pas à être dérangé, même par Pollux, le persan paresseux.
Et puis, qui savait ce qui pouvait se passer ? Non pas qu’il s’attende véritablement à quelque chose mais… on ne savait jamais.
Son cartable était posé près de lui et il l’ouvrit presque religieusement pour en tirer la petite boîte. A dire vrai, son aspect n’appelait pas à tant de précautions. Ce n’était rien de plus qu’une boîte de biscuits apéritifs d’une marque qui lui était inconnue. Une marque étrangère, à en croire les gros caractères indéchiffrables et colorés qui l’ornaient.
Enfin, l’important n’était pas l’emballage mais ce qu’il contenait.
Mais que contenait-il réellement ?
« Elles sont magiques, lui avait affirmé le mendiant en lui offrant la boîte, après l’avoir aidé à se relever et à rassembler ses affaires éparpillées par les garnements. »
Il avait essayé de refuser, d’abord, de poser des questions, ensuite, de remercier, enfin. Mais, à chaque fois, l’homme réagissait à l’identique, hochant la tête en souriant et baragouinant dans une langue indistincte, comme font habituellement les mendiants. Vaincu, il avait tiré de sa poche une pièce que l’homme avait acceptée, et avait poursuivi son chemin, la boîte de crackers fourrée dans son cartable.
Il était trop vieux pour croire à la magie. Trop philosophe aussi peut-être : si la magie existait, le monde ne serait certainement pas tel qu’il était !
Malgré tout, il se sentait fébrile en ouvrant la petite boîte pour découvrir ce qui s’y cachait.
A l’évidence, elle avait été détournée de son usage premier car rien de comestible ne se trouvait à l’intérieur.
Il tira avec précaution le jeu de cartes de son étui de fortune et commença à l’examiner. Il n’avait rien d’un jeu ordinaire. Pas de cœur, trèfle, carreau ou pique. Pas de roi, dame ou valet. Aucun chiffre ou symbole. Aucune carte identique à une autre. Sur chacune, un dessin qui semblait peint directement sur les petits supports cartonnés, avec un talent indéniable. Les cartes n’étaient peut-être pas réellement de nature magique, mais le sentiment qu’il ressentait à les contempler, en tout cas, s’en approchait.
***
Assis dans un coin de la cour, Ludovic contemplait ses cartes une nouvelle fois. Il avait remplacé la boîte de crackers par un étui de sa confection, chose dont il était fier. Il contemplait ses cartes, cherchant encore et toujours à en comprendre l’utilisation. Si seulement elles avaient été accompagnées d’une notice…
— Hey ! Regardez qui voilà !
Ludovic se figea d’effroi. Il n’avait pas besoin de lever le regard pour reconnaître la voix qui s’était exclamée.
— Qu’est-ce que tu trafiques ? C’est pas prudent d’amener des jeux à l’école, tu sais ? Donne-moi ça !
Ludovic cacha le jeu de ses mains, sans esquisser le moindre geste pour le donner. Son cœur battait la chamade alors qu’il défiait ainsi son persécuteur.
Prenant un ton faussement doucereux et conciliant, celui-ci lui proposa une alternative :
— Tu me le donnes… ou je viens le prendre ?
Muet, Ludovic se crispa mais ne bougea pas, tentant de contrôler la vague de peur et de larmes qu’il sentait monter en lui.
— OK ! C’est encore plus drôle comme ça, ricana le bagarreur en s’avançant vers lui, bravache.
Ludovic ferma les yeux et serra les cartes dans ses mains le plus fort qu’il put, férocement décidé à ne pas se les laisser arracher.
Mais tandis qu’il s’attendait à être bousculé, ce furent une avalanche de cris et de rires qui le poussèrent à rouvrir les yeux.
Effrayé, lui assenant moult insanités inutiles, son agresseur tentait d’échapper à une guêpe qui semblait prendre un malin plaisir à le menacer de son dard.
Hilares, ses compères n’en finissaient plus de se moquer de sa peur incontrôlable de l’insecte.
Qui éructant, qui s’esclaffant, le petit groupe s’éloignait sans plus d’attention pour Ludovic.
Celui-ci, à la fois surpris et soulagé par le retournement de situation, desserra l’étreinte de ses mains et observa à nouveau l’image qui apparaissait sur la première des cartes. Quelques branches d’arbre. Avec une sorte de boule en papier mâché accrochée à elles. Il connaissait ces boules pour en avoir déjà vu une fois, à la campagne. Un nid de guêpes.
Peut-être ne s’agissait-il que d’une coïncidence.
Ou peut-être le mendiant avait-il dit vrai : ces cartes étaient bel et bien magiques.