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Le Flamboyant

Publié le par LilasNoir

On l'appelait Anoril le Flamboyant. Son nom était murmuré par toutes les lèvres, dans la partie australe du continent, de la Mer des Mille-Yeux jusqu'au Mont des Aigles. Son nom et celui de ses compagnons : Saru Main-Agile, la voleuse de Calendon ; Dureiken, du clan des nains de la montagne Akarin ; Delos, dont les pratiques magiques impressionnaient et inquiétaient même au sein de la petite troupe.

C'est à l'aube du 121ème jour de l'année du Loup Affamé que nos amis tenaient conciliabule devant l'entrée d'une caverne. Ils avaient été attirés là par la légende d'un trésor. Saru espérait y trouver or et joyaux. Delos quelque objet magique. Quant à Dureiken, la perspective d'une bonne bagarre contre l'incontournable gardien le mettait en joie. Anoril, lui, n'avait qu'un dessin en tête, la gloire. S'ils ressortaient victorieux de cette épreuve, sa renommée franchirait le Mont des Aigles et atteindrait les plaines du nord.

Le petit groupe, enthousiaste mais prudent, pénétra dans la caverne, Anoril en tête. Ils n'avaient pas de torche. Ils n'en avaient nul besoin. Aussitôt qu'ils furent dans l'obscurité, la pierre enchâssée dans la couronne d'étain que portait Anoril s'illumina telle un soleil. Les compagnons se trouvaient dans un tunnel étroit qui s'enfonçait de plus en plus profondément dans la roche. Le sol descendait en pente douce. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, l'atmosphère devenait plus humide. On entendait régulièrement le clapotis d'une goutte d'eau. Le chemin qu'ils suivaient, malgré ses tours et détours, ne possédait aucun embranchement et cela inquiétait les membres du groupe. Il était impossible que ce fut aussi facile. Alors qu'ils s'observaient les uns les autres, comme pour s'assurer que tous avaient la même pensée, ils débouchèrent sur une vaste salle souterraine. La lumière rebondit sur l'or et les bijoux, sur les coupes, les armes et les armures d'argent, de vermeil et d'obsidienne. Les compagnons étaient interloqués. Tout était tranquille et silencieux, ce trésor leur tendait les bras, et aucun gardien n'était en vue.

Saru s'avança la première. Dureiken la suivit, hache à la main, prêt à pourfendre tout danger qui pourrait l'inquiéter. Saru savait qu'elle devait se méfier, mais la tentation était trop forte. Sans attendre, elle pénétra dans la salle et s'approcha des monceaux de joyaux. Une petite allée était aménagée, séparant le trésor en deux tas, de part et d'autre. Dureiken était inquiet et laissait son regard parcourir toute la salle pour revenir se poser sur la jeune femme. Resté en arrière avec Anoril, Delos était prêt à lancer un sort, si le besoin s'en faisait sentir. Saru emprunta l'allée, passant devant des objets d'une inestimable valeur sans y prêter attention. Elle était comme attirée par une chaîne d'or au bout de laquelle pendait une énorme émeraude, aussi verte et transparente que ses yeux, et qui reposait sur une colonne de marbre, au bout de l'allée. Malgré le conseil de prudence du nain qui était maintenant près d'elle, elle posa la main sur le bijou. Saru brandissait victorieusement son trophée lorsqu'un petit être humanoïde surgit de derrière la colonne. Il mesurait deux pieds de haut, avait la couleur de la terre et semblait taillé dans le roc, si ce n'est le rictus mauvais qu'arborait son visage. Avant que Saru n'ai pu esquisser le moindre geste, il porta à ses lèvres une minuscule sarbacane, et Saru s'écroula, laissant entendre un hoquet de surprise. Dureiken s'agenouilla près d'elle mais il n'y avait plus rien à faire. Fou de rage et de douleur, il se releva et se jeta sur le petit être qui ne fit aucun mouvement pour s'esquiver mais qui ricanait d'une voix grinçante. Le nain abattit sa hache sur le visage grimaçant. Celle-ci ne rencontra que la poussière. Sa cible s'était évanouie sous ses yeux, et le rire venait maintenant de derrière lui. Il pivota. Un autre rire monta de sa droite, et un encore de sa gauche. Les êtres de pierre étaient maintenant trois qui l'entouraient. Dureiken frappa le plus proche, mais il disparut comme le premier, et à sa place apparurent deux nouveaux adversaires. Le nain était maintenant cerné de toutes parts. Il frappait autour de lui avec acharnement, mais à chaque fois les petits êtres disparaissaient avant d'être touchés. Et cependant qu'ils s'attroupaient, de plus en plus nombreux, lui recevait de multiples blessures. Ce n'était pour la plupart que de simples égratignures, faîtes par les minuscules couteaux avec lesquels se battaient les gnomes de terre, mais si nombreuses que Dureiken fut bientôt ensanglanté. Sa rage s'en trouvait décuplée, mais la fatigue commençait à se faire sentir.

Pendant ce temps, Delos n'était pas inactif. Voyant le nain en difficultés, il marmonna des mots incompréhensibles, tout en effectuant des mouvements contrôlés de ses mains. C'était là le lancement d'un sort qu'Anoril lui avait vu maintes fois effectuer. Le résultat ne se fit pas attendre. Du sol même surgit une créature gigantesque, faite de terre et de roche, la réplique agrandie à l'extrême des créatures qui assiégeaient le nain. Delos avait décoché sa flèche : il avait convoqué un élémental de terre. Certaines créatures cessèrent de rire et se mirent à babiller frénétiquement, tandis que les autres continuaient à s'acharner sur le pauvre nain tombé à terre. L'élémental tourna alors sa masse imposante vers Delos et d'un pas lourd mais inaltérable, le monstre sans cervelle se dirigea sur lui. Frénétiquement, Delos entama un chant, mais il n'était plus temps. Une main de pierre se tendit et l'arracha du sol. La dernière vision de Delos fut celle du nain qui succombait sous l'assaut de ses assaillants. Le dernier son qu'il entendit fut celui de ses os qui craquaient sous la pression de la poigne du géant de pierre. Il était mort bien avant que son corps disloqué ne touche le sol.

Anoril, lui, ne s'était pas attardé sur les lieux. L'expérience de Dureiken montrait que les armes n'étaient d'aucune utilité contre les gnomes et l'attaque de l'élémental lui confirmait qu'il ne pouvait pas non plus compter sur la magie. Il avait donc opté pour une troisième solution, la fuite. Anoril le Flamboyant n'était pas un lâche, mais il savait reconnaître une situation désespérée. Ses compagnons étaient morts. Il ne pouvait plus rien pour eux. Se faire tuer lui aussi ne lui apporterait rien et ne les ramènerait pas à la vie. Il reprit donc en courant le chemin qu'il avait parcouru à l'aller. Les rires ne le suivirent pas et bientôt, le silence revint dans le souterrain, troublé seulement par le bruit de sa course. Anoril, qui commençait à entrevoir pour lui une issue favorable, faisait déjà des plans de vengeance, consistant principalement à détruire les gnomes et à s'approprier leur trésor. Sa course et ses pensées furent brutalement interrompues. Une fourche se présentait à lui. Anoril était décontenancé. Il était persuadé n'avoir rencontré aucune bifurcation à l'aller. Il scruta le sol mais celui-ci était de pierre et ne laissait percevoir aucune trace de pas. Trois passages s'offraient à Anoril et il choisit celui du milieu. Il reprit sa course mais plus prudemment; se donnant le temps d'observer les lieux, à la recherche de quelque trace qui put lui indiquer s'il avait choisit la bonne direction. Il fut persuadé du contraire quand, au bout de quelques dizaines de mètres, le souterrain forma un T. C'était un embranchement qu'il n'aurait pas pu ne pas voir à l'aller. Il fit donc demi-tour, avec l'intention de retourner à la fourche. Mais le chemin rectiligne qu'il venait d'emprunter s'étiolait maintenant en divers passages vers la droite et la gauche. La désorientation fit place au désespoir dans le cœur d'Anoril. Il se remit à courir, empruntant les tunnels qui se présentaient à lui, toujours plus nombreux. La lumière, à son front, luisait de façon toujours plus intense, lui permettant de voir, à mesure qu'il fuyait, les bouches noires et béantes des tunnels qui le cernaient. Il courut ainsi pendant un temps incalculable. Il avait atteint la limite de ses forces. La terreur le submergeait, une terreur incontrôlable, telle qu'il n'en avait jamais connue. Les poumons en feu, le sang pulsant dans ses tempes à un rythme effréné, il s'écroula sur des jambes qui ne pouvaient plus le porter.

Il retentit devant lui, le rire grinçant et moqueur qui hanterait longtemps ses cauchemars. Il leva les yeux et rencontra ceux d'un des gnomes. Il portait autour du cou un collier qu'Anoril reconnut. C'était celui qui avait causé la mort de Saru. Anoril tenta de se relever et d'affronter le monstre, mais il n'en avait plus la force.
L'être ricana de nouveau puis s'adressa à lui :
- Pauvre créature faible et fragile. Tu voudrais t'enfuir, n'est-ce pas? Rien de plus facile. Il suffit pour cela que tu me donnes ton bien le plus précieux. Acceptes-tu ?
Anoril ferma les yeux. Il ne parvenait pas à reprendre son souffle et n'était capable d'aucune parole. Il sentit une odeur de souffre, comme le petit être s'approchait de lui. Il s'évanouit. Sa dernière pensée fut que son ultime sensation serait celle de la couronne que l'on ôtait doucement de sa tête.

Pourtant, ses yeux se rouvrirent, quelques minutes, quelques heures ou quelques jours plus tard. Chaque muscle de son corps le faisait souffrir, et il lui semblait ne jamais pouvoir s'en remettre. Pourtant, il n'était pas blessé, et devant lui, à l'extrémité du tunnel dans lequel il était encore allongé, il contemplait la sortie du souterrain. Il rampa plus qu'il ne marcha vers la délivrance. Ce ne fut qu'une fois dehors, sous un réconfortant soleil de midi, qu'il se remit sur ses pieds et poussa un cri de dément. Le cri d'un homme qui avait cru sa mort arrivée, et qui pourtant est toujours en vie. Déjà sa terreur s'envolait. Lui, Anoril le Flamboyant, lèverait une armée, emploierait cent magiciens pour les mener à l'attaque de la caverne. Le trésor qui y reposait valait bien cette peine. Il repartit donc, la tête pleine de rêves de puissance.

Il n'avait pas encore conscience que ses rêves étaient sans espoir. Car plus qu'un objet, il avait donné au gnome son bien le plus précieux, il avait donné son nom. A ce jour, Anoril le Flamboyant n'était plus.

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A
Merci beaucoup pour ce paratage
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